Takayoshi Sakabe | Une nouveau séjour
Un nouveau séjour
Dans ces dernières peintures, quelque chose a changé.
Le paysage a quitté l’ancienne réserve où dormaient ses ors et ses verts pour venir décanter dans une autre dimensions, et se situer à une autre distance du regard. Les lignes, toujours soumises en apparence à l’ineffable, ne parlent plus d’un avant, mais d’un après ; la matière invisible qu’elles ont traversée ( et qui pourrait s’appeler aussi bien folie que sagesse, percée ou détour ) - et qu’elles traversent encore leur a permis de donner à cet art de l’apparition tant prisée par Takayoshi Sakabe une maturité inédite. Comme si l’artiste avait franchi soudain d’autres strates invisibles pour se placer derrière le sujet, colline ou visage, et opérer une radiographie essentielle. Non plus montrer la matière en train d’advenir, avec sa lente éclosion, sa riche et discrète inclusion, mais peindre ce devenir lui-même, la matière profonde de ce devenir, afin que chaque ligne chaque touche, chaque ombre devienne un destin en soi. On ne saurait nommer autrement ce processus que miracle
Une empreinte infaillible
Que ce soit de face ou de profil, qu’on lui prête sommeil ou réflexion, le visage tel que le peint Takayoshi Sakabe n’en finit pas de basculer, ou plutôt de verser, non pas figé dans une chute qui serait humble (se détournant du regard, il s’oublierait ) mais à peine saisi dans un vertige qui monte, un vertige qui ne serait que lumière - c’est toujours le soir de la chair, l’heure, la minute, la seconde où la soie se déchire, où la pierre abreuvée d’or et de poussière rend, fragment après fragment, la substance qui la travaille, se sacrifiant à un crépuscule qui ne vient pas.
Ce mystère d’une désagrégation qui n’est qu’émergence vitale, ce fortement du brun, de l’ocre et du bronze qui use et arase la chair pour en faire un paysage, Takayoshi Sakabe le maitrise dans un silence parfait: le tain rongé de sa toile, que la résine semble avoir rendu aussi réceptif que les premières plaques sensibles d’un Niepce ou d’un Daguerre, créé un effet de miroir où le regards, charriant imperceptiblement, passe de l’autre côté , par lente sédimentation. Et pourtant tout se tient, l’effritement d’autre chose: par refoulement et attraction, érosion et infiltration.
Ce mont qui dispute ses verts es ses ocres à la brume têtue de la toile, et qu’un mince filet de route claire n’ose fissurer; ce champ au tracé cassé, abstrait, qui dresse autour de lui une nature scoriacée, cette ferme allongée qui succomber à la mousse; ces oiseaux qui se noient dans l’écorce diffuse de la branche; ces arbres comme surexposés à leur propre sève - il semble que Takayoshi Sakabe les ait plongés dans le bain d’une mémoire poreuse pour nous en restituer l’empreinte infaillible, le devenir-évanescent.
Le nimbée possiblement crépusculaire qui règne ici ne présage aucune catastrophe, aucun bouleversement - il augure une émotion, comme un réveil, une poussée de conscience entre des pans de songe.
Christophe Claro
Paris, Juillet 19