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Guillermo Kuitca On His Immersive, David Lynch-Inspired Installation at the Fondation Cartier (Guillermo Kuitca à propos de son installation immersive inspirée de David Lynch à la Fondation Cartier)

Tess Thackara
Dec 10, 2014 3:37PM

Guillermo Kuitca and David Lynch aren’t often spoken about in the same sentence. Despite a decades-long career and international acclaim, the cerebral Argentine painter Kuitca keeps a remarkably low profile, while the off-beat auteur Lynch has become a cult figure whose lesser-known artistic practice plays second fiddle to his film career and reputation as the creator of Twin Peaks. But in “Les Habitants,” Kuitca’s sprawling, site-specific installation at the Fondation Cartier, marking its 30th anniversary, he conjures the ghosts of artists past and present who haunt his practice, including David Lynch—revealing the surprising points of resonance between their work.

Guillermo Kuitca et David Lynch sont rarement cités dans la même phrase. Malgré une carrière longue de plusieurs décennies et une reconnaissance internationale, la discrétion de Kuitca, peintre argentin cérébral, est remarquable tandis que Lynch, auteur fantasque, est devenu une figure culte dont la pratique artistique moins connue est toujours placée au second plan derrière sa carrière cinématographique et sa réputation de créateur de Twin Peaks. Mais dans « Les Habitants », sa vaste installation conçue spécifiquement pour la Fondation Cartier à l’occasion de son trentième anniversaire, Kuitca invoque les fantômes d’artistes passés et présents qui hantent son travail dont celui de David Lynch, révélant les échos surprenants que leurs œuvres respectives se renvoient.

Known for his absorbing, nuanced paintings of maps, viral networks, architectural plans, cubist murals, and spare, psychologically charged interiors, Kuitca creates work that is characterized by its indeterminacy. The mysterious spaces of Kuitca’s imagination can feel conversely like a refuge or a threat. Looking at his paintings, mixed-media works, and installations, you never quite know where you are, but an uncanny sense of the familiar, and of the foreboding promise of action pervades the experience—recalling the surreal, seductive worlds of Lynch’s films. At the Fondation, he reinvents a red living room created by Lynch at the institution in 2007, covering the walls with his fragmented mural patterns, installing a recording of a concert staged by Lynch and Patti Smith in the space, and borrowing its name, “Les Habitants,” from a film by the Armenian Artavazd Pelechian. I spoke to Kuitca about the project, and his larger practice, after he had returned home from Paris. 

Connu pour ses peintures nuancées et saisissantes de cartes, de réseaux viraux, de plans architecturaux et de motifs cubistes sur des murs et pour ses intérieurs dépouillés, d’une forte intensité psychologique, Kuitca crée une oeuvre qui se caractérise par son indétermination. Les espaces mystérieux sortis de son imagination apparaissent à la fois comme un refuge et une menace. On ne sait pas très bien où l’on est lorsqu’on regarde ses peintures, ses oeuvres issues de techniques mixtes et ses installations mais un étrange sentiment de familiarité et la promesse inquiétante d’une action imminente imprègnent cette expérience, qui rappelle l’univers surréel et séduisant des films de Lynch. A la Fondation, Kuitca réinvente un salon rouge conçu par Lynch en 2007 au même endroit, en couvrant les murs de motifs fragmentés et en installant l’enregistrement d’un concert présenté par Lynch et Patti Smith dans cet espace et qui emprunte son nom, « Les Habitants », à un film du réalisateur arménien Artavazd Pelechian. J’ai discuté avec Kuitca de son projet et plus largement de son travail à son retour de Paris, chez lui.

Tess Thackara:  Your current exhibition at the Fondation Cartier was largely inspired by David Lynch’s 2007 exhibition “The Air is on Fire,” also at the Fondation Cartier. Can you tell me about your particular interest in David Lynch’s work and how you began to think about this project?

Guillermo Kuitca:  To give you some context, I didn’t know David Lynch’s work before I saw that exhibition. Of course, I was a big fan of his movies, but I didn’t know his work as a painter, designer, photographer, and so on, which is so vast and rich. I happened to be in Paris at the time of that show, and it was that particular piece, the one that I’m now revisiting, that somehow got me, took me by surprise. I cannot say that I liked it or loved it. I felt quite lost at that show—I didn’t know what I was looking at. I wasn’t really sure if what I was looking at was a piece that was supposed to be seen from the back, from the front, or whether it was a series of props. I almost thought it was something that wasn’t finished. It was more about feeling lost, and feeling unease. It was an awkward piece, actually, that living room. For whatever reason, that got stuck in my head.

Seven or eight years later, Grazia Quaroni, one of the curators of [Fondation] Cartier, was in Buenos Aires and visited me to propose I do something for Cartier’s 30th anniversary. Immediately, with a kind of instantaneous reaction, I said, “What about this? I always remember that piece. Would it be interesting if I revisited that living room?”—which actually was already David revisiting his own drawing from the late ’70s. And she said, “Yes, draw whatever you want. And send us a few drafts, ideas, whatever.” And I started to play with that and somehow juxtaposed images that I was working on. Over the last few years I have been working outside of the canvas. I had started to paint works in rooms and create projects in spaces. The one that I did in in Somerset for Hauser & Wirth was very important to me. I felt very connected to that. And somehow I wanted to keep exploring the creation of spaces. I found that to put myself in other artists’ footprints was very liberating. That’s how it started.  

Tess Thackara : Votre exposition, actuellement à la Fondation Cartier, est largement inspirée de celle de David Lynch, « The Air is on Fire », qui s’est tenue à la Fondation en 2007. Pouvez-vous me parler de votre intérêt particulier pour l’œuvre de David Lynch et des origines de ce projet ?

Guillermo Kuitca : Pour vous resituer le contexte, je ne connaissais pas le travail de David Lynch avant de voir cette exposition. Bien sûr, j’aimais beaucoup ses films mais je ne connaissais pas son travail de peintre, de designer, de photographe, etc., qui est si vaste et si riche. Il se trouve que j’étais à Paris au moment de l’exposition et c’est cette œuvre en particulier, celle que je revisite aujourd’hui, qui m’a saisi d’une certaine façon, qui m’a pris par surprise. Je ne peux pas dire que je l’ai appréciée ou aimée. J’étais un peu perdu dans cette exposition, je ne savais pas ce que je regardais. Je ne savais pas vraiment si l’œuvre que je regardais devait être vu de derrière ou de devant ou s’il s’agissait d’un ensemble d’accessoires. Je croyais presque qu’elle était inachevée. Il s’agissait plutôt de se sentir perdu ou mal à l’aise. Ce salon était une œuvre embarrassante en fait. Pour je ne sais quelle raison, elle est restée coincée quelque part dans mon esprit. 

Sept ou huit ans plus tard, Grazia Quaroni, une des commissaires d’exposition de la Fondation Cartier, était à Buenos Aires et m’a rendu visite pour me proposer de faire quelque chose pour le trentième anniversaire de la Fondation. Ma réaction a été immédiate, j’ai tout de suite dit : « Et pourquoi pas cette œuvre ? J’y pense tout le temps. Est-ce que ce serait intéressant de revisiter ce salon ? », qui était en fait déjà une révision par David d’un de ses dessins de la fin des années 1970. Et elle m’a dit : « Oui, dessine ce que tu veux. Et envoie-nous quelques ébauches, des idées, ce que tu veux. » Et j’ai commencé à jouer avec cette idée et à superposer d’une certaine façon des images sur lesquelles je travaillais. Je travaille en dehors de la toile depuis quelques années. J’avais commencé à peindre dans des pièces et à concevoir des projets dans des espaces. Celui que j’ai fait pour Hauser & Wirth dans le Somerset était très important pour moi. Je m’y sentais très lié. Et je voulais d’une certaine manière continuer à explorer la création d’espaces. J’ai trouvé ça très libérateur de me mettre dans les pas d’autres artistes. C’est comme ça que ça a commencé.

TT:  What did you find liberating about that process?

GK: I think by saying “liberating,” I mean that the fact that it was a previously conceived piece by a very well-known artist didn’t mean that I had to pay homage. There were no areas that I wouldn’t allow myself to go, or to touch, or to change. I felt that I could enter that space and create something with—not necessarily a blank canvas—but almost as if it were something that could go in any direction. Of course at that stage, it was just a project. Then obviously we needed David Lynch’s approval. Probably because I’m a painter, I’m very used to working with a canvas, which in a way is already a limit that is pre-established by height and width, so… 

TT : Qu’est-ce qui était libérateur dans ce processus ? 

GK : Ce que j’entends par « libérateur », c’est que le fait que cette œuvre ait été conçue par un artiste très connu auparavant ne m’obligeait pas à lui rendre hommage. Il n’y avait aucun champ où je m’interdisais d’aller ou que je m’interdisais de toucher ou de changer. Je sentais que je pouvais entrer dans cet espace et créer quelque chose, pas nécessairement à partir d’une toile vierge, mais quelque chose qui pouvait aller dans n’importe quelle direction. Bien sûr, à ce stade, ce n’était qu’un projet. Et ensuite évidemment il nous fallait l’accord de David Lynch. Probablement parce que je suis un peintre, je suis très habitué à travailler sur des toiles, qui sont déjà en un sens une limite préétablie en hauteur et en largueur, alors...

TT:  So you’re used to working with parameters. And your work is often richly intertextual and full of references to other artists. How do you think about your work as engaging those practices and histories?

GK:  Yeah. I think that, playing a little bit with the title of the show, I feel inhabited by the history of the art I have seen and I like, so it’s a sort of natural flow. It’s not necessarily an essay, or coming from a discourse—it’s a very elaborated piece, but it doesn’t come from an elaborated process. Well, actually that’s not entirely true; the process is quite elaborate! But art history came from experience rather than knowledge that I apply to certain works. I started somehow to feel inhabited by a sort of modernist language after 2007, which I still use these days. But I don’t know exactly why that happened, actually! [Laughs].

TT : Vous avez donc l’habitude de travailler avec des paramètres. Et votre travail est souvent riche d’intertextes et plein de références à d’autres artistes. Comment envisagez-vous votre travail lorsqu’il implique ces pratiques et ces filiations ? 

GK : Ouais, pour jouer un peu avec le titre de l’exposition, je me sens habité par l’histoire de l’art que j’ai vu et que j’aime donc ça vient assez naturellement. Il ne s’agit pas nécessairement d’un essai ou de quelque chose qui est ancré dans un discours ; c’est une œuvre très élaborée mais qui n’est pas le résultat d’un processus élaboré. Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai en fait : le processus est assez élaboré ! Mais l’histoire de l’art que j’utilise vient de mon expérience plus que de connaissances que j’applique à certaines œuvres. Après 2007, je me suis senti habité par une sorte de langage moderniste que j’utilise toujours aujourd’hui. Mais en fait je ne sais pas vraiment comment c’est arrivé ! [Rires].

TT:  You have applied that modernist language—cubist-style murals—to the walls of spaces in environmental works in recent years. Are your works in three-dimensional space simply an extension of painting?

GK:  That was an interesting process for me because as a painter, somehow you inhabit such a two-dimensional world, and you’re so used to that—you know, I’ve been painting all my life. I think I struggle with the limits of every painting, and the expansion and possibilities of painting, probably like any contemporary painter. To be honest, as a painter you always have sort of the will, or the wish, or the illusion that working in three dimensions would be good for you—it would be one of those moments where you go, “That day will be important, that day will come.” Actually what happened to me was that I was doing these paintings with this sort of viral structure that was easy to move around, because it was more like a pattern. The first piece I did in that way was in my own studio. I was working, I was painting and maybe without really thinking twice, I was painting a wall in the studio in the corner. And then I kept going. So the switch, the swap between two and three [dimensions] was natural, in a way. I still go back and forth. And I don’t see a big difference in terms of how I engage one work or the other.

The works that I did for the “Les Habitants” at Cartier are a bit more complex; it’s not just a pictorial installation at all. But making those rooms, like the ones I did in my own studio, the one I did in England, and the one I created like a cube that I showed in New York in March—it was different as an outcome, but it in the end it was still pretty much myself in front of a surface.

TT : Vous avez utilisé ce langage moderniste – avec des peintures murales de style cubiste – sur les murs de certains espaces dans vos œuvres environnementales ces dernières années. Est-ce que les œuvres que vous déployez dans un espace tridimensionnel sont simplement une extension de la peinture ?

GK : C’était un processus intéressant pour moi parce qu’en tant que peintre, on vit dans un monde tellement bidimensionnel en un sens et on s’y habitue tellement – j’ai peint toute ma vie, vous voyez. Je crois que je suis aux prises avec les limites de chaque peinture et les possibilités et l’expansion de la peinture en général, probablement comme tous les peintres contemporains. Honnêtement, en tant que peintre on a toujours cette volonté ou ce souhait ou cette illusion que ce serait une bonne chose de travailler en trois dimensions, quand on y pense, on se dit : « Ce jour sera important, ce jour viendra. » En fait, ce qu’il s’est passé, c’est que je travaillais sur des peintures qui avaient une sorte de structure virale facile à déplacer parce qu’elle ressemblait plutôt à un motif. La première œuvre que j’ai faite ainsi était dans mon propre atelier. J’étais en train de travailler, j’étais en train de peindre et sans y réfléchir à deux fois peut-être, je me suis mis à peindre un mur dans un coin de l’atelier. Et puis j’ai continué. Donc en un sens le passage ou la transition entre deux et trois dimensions était naturel. Je fais toujours ce va-et-vient entre les deux. Et je ne vois pas de grande différence dans la façon dont j’entreprends l’un ou l’autre. 

Les œuvres que j’ai faites pour « Les Habitants » à la Fondation Cartier sont un peu plus complexes : ce n’est pas du tout une simple installation visuelle. Ce qui ressort des pièces que j’ai créées, comme celles que j’ai faites dans mon propre atelier, ou celle que j’ai faite en Angleterre ou celle que j’ai conçue comme un cube et que j’ai exposée à New York en mars, est toujours différent mais en fin de compte il s’agit toujours plus ou moins d’un face à face entre une surface et moi.

TT: There is a sort of cryptic open-endedness in your work—in fragments of narratives or maps of undetermined spaces. Given that sense of indeterminacy in your work, how do you know when you’re finished with a piece?

GK:  It’s one of the more intuitive moments of the process, the finishing of a piece. And of course the unfinished quality of something really plays a main role. But I remember at one point, I wanted to leave work unfinished in sort of as arbitrary a way as possible. Like if the telephone will ring, I will stop working at that moment, and somehow the painting will absorb that—like the artist just left the studio and never came back. For some reason, that very arbitrary moment tends to impart a particular energy to the works. I don’t always do that, otherwise it would be too gimmicky or totally formalistic. But today I think it’s always a major moment when you decide, “This is it.” Actually, for the Cartier exhibition, I would say that—because it’s more like a curatorial process, in a way—I had to finish the project; it’s not like, [laughs] you know, I could leave a few bunches of crates and cables; that would have been very, very, very different and they could have probably been very mad at me if I hadn’t [finished] it. But in some of the paintings or small pieces that I work on in my studio, I still very much look forward to that moment of deciding when something is done.

TT : Les fragments de récits ou les cartes d’espaces indéterminés laissent vos œuvres infiniment ouvertes, d’une manière presque énigmatique. Comment savez-vous que vous avez achevé une œuvre en dépit de ce sentiment d’indétermination ?

GK : L’achèvement d’une œuvre est un moment plus intuitif du processus de création. Et bien sûr la qualité inachevée d’une chose joue un rôle central. Mais je me souviens qu’à un moment donné je voulais laisser une œuvre inachevée de la façon la plus arbitraire possible. Par exemple, imaginons que le téléphone sonne, je m’arrêterais de travailler précisément à ce moment-là et d’une certaine façon la peinture assimilerait ce geste, comme l’artiste qui quitte son atelier pour ne jamais revenir. Pour une raison que j’ignore, ce moment très arbitraire semble donner une énergie particulière à ces œuvres. Je ne travaille pas toujours comme ça parce que ce serait trop téléphoné ou formaliste à souhait. Mais aujourd’hui je crois que le moment où l’on se dit « ça y est, c’est fini » est toujours un moment essentiel. En fait, pour l’exposition de la Fondation Cartier, je dirais que je devais finir le projet parce qu’il relevait en un sens du processus éditorial de l’exposition. Ce n’est pas comme si, [rires] vous savez, je pouvais laisser quelques boîtes et quelques câbles empilés, ça, c’aurait été très, très, très différent et ils auraient pu être fous de rage si je n’avais pas terminé le travail. Mais pour ce qui concerne des peintures ou des oeuvres plus petites auxquelles je travaille dans mon atelier, j’ai toujours hâte de ce moment où je dois décider que quelque chose est achevé.

TT:  Do you return to paintings over long periods of time?

GK:  That depends on the work. Some works like the maps or some architectural pieces are more slow in terms of process because they grow slowly. For instance, if I do a piece all by pencil, it will take a long time, sometimes a whole year. Even if I don’t work daily on that piece, I know it will develop into something that is more like a preconceived image. Normally I don’t work with studies, but I do make studies from the paintings, so in a way it’s like reversing the process of making studies—to understand what I’ve done, rather than knowing what I’m going to do. And those works are not necessarily fast, I’m not painting the work in a day, but if the decision was right and I had a good session, it probably will be. I think I have multiple processes happening at the same time.

I might not have an image in mind, but maybe I have one clue, like I’ll use yellow, I’ll use black. The last couple of years I have worked pretty much with the same palette. I prefer to use my diaries for doodling or killing time. I have this circular piece that is a daily nothingness, in a way. I let that piece be the one that absorbs all this vagary, all these moments where I don’t know what to do. And in a way, the accumulation of that gives a depth to it. But if I start a work with no image, nor a clue, it’s very, very likely that that painting will end in the trash can or will be completely covered, to start over again. 

TT : Est-ce que vous retravaillez des peintures pendant des périodes très longues ?

GK : Cela dépend de l’œuvre. Je mets plus de temps avec les cartes ou certains montages architecturaux parce que leur croissance est lente. Si je fais une œuvre au crayon, par exemple, ça prend beaucoup de temps, parfois une année entière. Même si je n’y travaille pas tous les jours, je sais qu’elle va se développer pour ressembler à l’image préconçue que j’en ai. En général, je ne fais pas d’études mais j’en fais à partir des peintures, donc j’inverse en quelque sorte le processus pour lequel on utilise des études – elles me permettent de comprendre ce que j’ai fait, plutôt que de savoir ce que je vais faire. Et ces œuvres ne se font pas nécessairement vite, je ne les peins pas en une journée, mais si j’ai fait le bon choix et si je fais une bonne séance de travail, il est probable que j’y arrive. Je crois que je développe en même temps des processus multiples. 

Je n’ai pas toujours une image en tête mais je peux avoir une idée, je sais que je vais utiliser du jaune ou du noir par exemple. Depuis plus de deux ans je travaille à peu près avec la même palette. Je préfère utiliser mes carnets pour gribouiller ou tuer le temps. Je me sers en quelque sorte de cette œuvre qui tourne sur elle-même comme d’un néant quotidien. Je la laisse absorber tous mes caprices et tous ces moments où je ne sais pas quoi faire. Et en un sens c’est cette accumulation qui lui donne de la profondeur. Mais si je commence à travailler sans image, sans idée, il est très, très probable que ma peinture finira à la poubelle ou entièrement recouverte pour que je puisse tout recommencer à zéro.

TT:  In the case of your Fondation Cartier installation, I imagine that process involved a lot more people than perhaps you’re used to—except for your work on the stage sets you have created. Can you talk a bit about the collaboration involved in creating “Les Habitants”? 

GK:  Well, it was interesting. This project took me by surprise, because after I decided to do this revisiting of David Lynch’s living room, it was the [Fondation] Cartier that decided to give me carte blanche to keep going and create a whole exhibition. And yes, going back to your question, it was through this process that I came across a lot of artisans. I mean, it’s really a very hand-made show. And that, I think, had to do a little bit with the French tradition of artisans that is still pretty alive. And so a lot of people jumped into the project—from the textiles of the walls, of the ceilings, to the more high-tech crew for the LED screen, the sound engineer, the crew of painters who somehow translated my imagery into sort of a duotone painting for the walls, and the decorators at Cartier.

The idea of being more immersive and involved with more people in a project is not something that appeals to me just by default; it has to be the right people and the right project. And this was definitely the right people and the right project. I have done some set designs and probably I will do it in the future, but I’m not a set designer. I have created a few theater curtains, which involve other people, but I’m not an artisan and used to working with other people all the time. So if I don’t feel that I’m completely immersed and have a really important understanding from the other side, I’m miserable doing that because most of the time I work by myself. So sometimes I think it’s a joy to be doing work with other people, and sometimes I think it’s exactly the opposite. But in this case it was definitely a joy.

TT : Je suppose que vous avez dû travailler avec beaucoup plus de monde que vous n’en avez l’habitude pour cette installation à la Fondation Cartier, si ce n’est pour les décors de cinéma ou de théâtre que vous avez montés par le passé. Pouvez-vous me parler du travail collaboratif qu’a exigé la conception des « Habitants » ?

GK : Eh bien, c’était intéressant. Ce projet m’a un peu pris par surprise parce qu’après avoir décidé de revisiter le salon imaginé par David Lynch, c’est la Fondation Cartier qui a décidé de me donner carte blanche pour monter une exposition entière. Et oui, en effet, c’est comme ça que je me suis retrouvé avec beaucoup d’artisans. C’est vraiment une exposition faite à la main en réalité. Et je crois que c’est en partie dû à la tradition artisanale française qui est encore assez vivante. Donc beaucoup de monde a rejoint le projet, de ceux qui s’occupaient des textiles pour les murs et les plafonds à l’équipe high-tech chargée de l’écran LED, en passant par l’ingénieur du son, l’équipe de peintres qui a transposé d’une certaine façon mes images en une sorte de peinture dichromatique sur les murs et les décorateurs de la Fondation. 

L’idée de s’immerger dans un projet et d’y impliquer plus de monde n’est pas quelque chose qui m’intéresse simplement par défaut : il faut les bonnes personnes et le bon projet. Et en l’occurrence, c’étaient sans aucun doute les bonnes personnes et le bon projet. J’ai monté des décors de plateaux et je le ferai probablement à l’avenir mais je ne suis pas un décorateur. J’ai fait quelques rideaux de théâtre, ce qui implique de travailler avec d’autres, mais je ne suis pas un artisan et je n’ai pas l’habitude de travailler tout le temps avec d’autres. Donc si je ne me sens pas totalement immergé et si je sens que les gens autour de moi ne me comprennent pas complètement, je suis malheureux dans ce cadre parce que je finis par travailler tout seul la plupart du temps. Donc c’est parfois un grand plaisir de travailler avec d’autres gens, et parfois c’est tout le contraire. Cette fois ça a vraiment été un plaisir.

TT:  What are you working on now? What are some of the challenges that are preoccupying you?

GK:  Actually, I haven’t started to work since I came back from Paris. [Laughs]. I was so exhausted that I had nothing [to give]. It’s an interesting moment, though, because there have only been a few times over a long career in which my work didn’t start where the previous one finished. Pretty much all my work is just sort of a chain reaction to the previous works. But now I feel that if I take this moment seriously, I will feel that I should explore this sort of an empty canvas that I feel I’m inhabiting now and see where that takes me. Because it might take me to something interesting. And so the problem I’m facing actually is how to start to work again. It was a very busy year, a lot of projects. I don’t remember having a year like the one I just had. And so maybe next year I will spend more time in the studio. I don't know which problems I’ll have, but I will have a lot of problems, that’s for sure! [Laughs]

TT : Quels sont vos nouveaux projets ? Quels sont les défis qui vous animent ? 

GK : À vrai dire, je n’ai pas commencé à travailler depuis que je suis rentré de Paris. [Rires]. J’étais si épuisé que je n’avais plus rien à donner. C’est un moment intéressant, cela dit, parce qu’il n’y a eu que quelques rares moments dans ma longue carrière où un travail ne commençait pas là où se terminait le précédent. Quasiment toutes mes œuvres sont une réaction en chaîne à mes œuvres précédentes. Mais maintenant je sens que si je prends ce moment au sérieux, je vais me rendre compte que je peux explorer cette sorte de toile vide dans laquelle je vis actuellement et voir où ça peut me mener. Parce que ça pourrait me mener à quelque chose d’intéressant. Mon problème en ce moment est donc de savoir comment recommencer à travailler. Cette année a été très chargée, remplie de projets. Je ne me rappelle pas avoir déjà eu une année comme celle-ci. Donc peut-être que l’année prochaine je vais passer plus de temps dans mon atelier. Je ne sais pas à quels problèmes je serai confronté, mais il y en aura beaucoup, ça c’est sûr ! [Rires]

TT
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Tess Thackara

Les Habitants” is on view at the Fondation Cartier Oct. 25, 2014–Feb. 22, 2015.

“Les Habitants” est exposé à la Fondation Cartier du 25 octobre 2014 au 22 février 2015.

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Install shots:

Guillermo Kuitca during the set-up of the exhibition “Les Habitants,” October 25, 2014–February 22, 2015, Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris. Photo © Olivier Ouadah

Légende:

Guillermo Kuitca pendant le montage de l’exposition Les Habitants, 25 octobre 2014 – 22 février 2015, Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris. Photo © Olivier Ouadah