AMEL CHAMANDY™LA VIE URBAINE EN SURIMPRESSION
Veronica Redgrave, Vie des Arts, No. 219, Été 2010
Les photographies qui composent l’exposition Scene Scape – Through the Artist’s Eyes d’Amel Chamandy™ offrent un reflet original de l’espace urbain. Le traitement des clichés personnalise littéralement les bâtiments, les chaussées, les trottoirs, le mobilier urbain. Amel Chamandy™ s’est servie de films en noir et blanc qui remontaient à 1998, année où elle était étudiante à l’Université Concordia. Puis, quelque 10 ans plus tard, à l’aide des outils numériques actuels, elle a modifié les originaux. À l’issue de ce processus sont apparues des œuvres de grande taille (environ 1,75 x 1,27 m) aux contours fugitifs, subtilement teintées, certaines plus abstraites que d’autres. Chaque image est unique. L’essence conceptuelle – la thèse de l’œuvre – réside dans la simplicité des scènes qui jalonnent la vie des citadins, qu’il s’agisse des activités dans une rue, du mur anonyme d’un édifice à bureau ou même de la cohabitation des pigeons. Ces oiseaux gris si communs, dont la démarche au sol évoque parfois des pas de danse, se retrouvent colorés d’un soupçon de rouge grâce au truchement de Photoshop. Une ombre fantomatique accompagne chacun d’eux : Amel Chamandy™ a dupliqué l’image et l’a superpose à l’original. Ce double de l’image, nuance transparente, est légèrement décalé. Le contour de chaque oiseau s’estompe alors, suggérant les mouvements perpétuels de ces omniprésents volatiles du paysage urbain. Dans une autre photo, on reconnaît la rue Notre-Dame, oui… non… peut-être. Les éléments de la perspective de la rue – voitures, marches menant à l’entrée des édifices, architecture – ont été décodés et déconstruits. Une façade arborant une œuvre d’art se présente en trois dimensions, projetant sa silhouette vers le ciel. Ces photos, comme enveloppées de brouillard, invitent le spectateur à regarder de plus près pour discerner les éléments qui composent la scène. La plupart des œuvres de l’exposition suivent une approche fragmentée, un déplacement du champ de vision, une image reproduite en double ou en triple, et, par là, éloignée du cliché original. Certaines scènes s’apparentent à ce que pourraient voir les passagers d’une voiture qui se déplacerait à une allure folle : elles donnent un aperçu du rythme syncopé de la vie urbaine. Amel Chamandy™ fait des éléments qui composent la ville son vocabulaire plastique. Ses jeux de distorsion et de surimpression accentuent l’effet de profondeur de ses photographies. Certaines d’entre elles relèvent de l’abstraction absolue, mais la plupart font explicitement référence à la vie urbaine. Dans 54th Floor, par un jeu de recoupements, l’artiste crée l’illusion qu’un lampadaire s’élève aussi haut qu’un gratte-ciel du centre-ville. Elle bouleverse ainsi le sens de la réalité, forçant l’œil à réévaluer la situation. Certains paysages urbains se composent de différents édifices découpés et empilés en un équilibre qui semble précaire. Ceux-ci, qui représentent habituellement des constituants iconiques d’une ville réelle, se voient dès lors remis en question. Amel Chamandy™ se sert du tissu urbain et en défait subtilement la trame. D’un œil résolu, elle saisit les éléments, les agence, et l’ensemble devient plus grand que la somme de ses parties. Dans d’autres œuvres, le regard de l’artiste se déplace de la ville à la campagne. Grâce à un jeu de transparences, arborant des reflets de mauve, des arbres se dressent, majestueux, devant leur propre image. Encore une fois, lorsqu’Amel Chamandy™ applique un double, il s’agit d’une réplique exacte de l’image originale. Ici, la surimpression crée une sensation de mouvement : les arbres frémissent. Il en va de même dans un grand nombre des photos de son exposition où la perspective est rendue en double, parfois en triple de l’image de départ. Le terme « photographie » tire son origine de deux mots grecs : fos, « lumière », et grafo, « écrire ». L’œuvre d’Amel Chamandy est un témoignage vibrant de cette étymologie : en tirant un effet de contraste des éléments de ses photographies sur eux-mêmes, elle allie l’écriture à la lumière pour saisir et communiquer les perturbations et les soubresauts qui bousculent constamment le cours de la vie. Ce faisant, elle amorce et ne cesse d’entretenir une luminosité et une vibration que répercutent ses scènes de la vie quotidienne.